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J’ai croisé un détenu menotté tenu par des policiers. Une infirmière dit : « Il y a beaucoup de prisonniers aujourd’hui, ils simulent, dans l’espoir de passer Noël à l’hôpital plutôt qu’en cellule. »
Des pompiers parlent entre eux, la main sur le lit sur lequel est la personne qu’ils ont amenée.
— À qui est la voiture qui bloque l’entrée ? crie quelqu’un !
— À moi ! répondissé-je. La bouger maintenant, mais c’est notre tour ? Un homme en blouse blanche me propose gentiment de la déplacer. Je lui donne les clés.
L’attente, face au ballet du personnel, médecins, infirmières, brancardiers, aide-soignantes… Et puis, sans cesse, des gens arrivent, d’autres partent.
Une famille est là, deux parents et trois jeunes enfants dont un bébé. Ils sont tous venus pour lui.
« Les douleurs dentaires ! » lance une infirmière à la cantonade.
Des lits. Un vieux monsieur est allongé. Il a la bouche ouverte — Francis Bacon — , la tête en arrière, il respire très mal, il s’étrangle. Peut-être sa petite fille, elle a le visage fermé. Deux hommes d’âge mûr sont là aussi, les fils, certainement. Ils sont calmes tous les trois, debout, silencieux, résignés. Une voix féminine demande leur nom de famille. Un des fils pousse lui-même le lit qu’il sait manipuler, l’habitude…
Une vieille dame arrive, accompagnée de son petit-fils : elle a fait une mauvaise chute.
Nous disons au revoir au médecin :
— Merci docteur. Et vous, quand aurez-vous fini ?
— Oh, demain matin, c’est une garde de 24 h.
Notes
- Pétition « Il faut un plan d’urgence pour sauver l’hôpital public ! » sur change.org.
Je suis le fil
Je suis sur un fil. Je vois un point, le bout. Et si c’était toute une vie qui s’y concentre ? Sans tomber, j’avance, un pas après l’autre. Je ne regarde pas derrière puisque je ne peux pas. Le reste du monde est vaguement là. Je suis sur un fil. Je vois un point, le bout. Toute ma vie s’y concentre. Je fais un pas, j’avance sans tomber. Il y a quelque chose derrière. Autour, c’est vivant, je l’entends. Je suis sur un fil. Je vois au loin un point, le bout ? Est-ce une fin ? Je ne suis pas tombé, j’avance. J’ai envie de me retourner. Je suis seul. Je suis sur un fil. Le point reculerait. J’avancerais sur ce fil et je reculerais. Le monde me tomberait dessus. Je suis sur un fil. Tous ces points qui forment ce fil… Chaque point est une fin. Un pas sur chaque point. Un monde à chaque pas. Je me retourne et je recule. Je suis le fil.
La belle vie
C’est l’été.
L’année avait été longue. Quand il avait fallu choisir la destination des vacances, j’étais dubitatif mais, finalement, nous avions décidé de retourner à Stella-Plage sur la Côte d’Opale. J’avais tort : tout va bien. Il fait un temps magnifique, les enfants sont heureux et Henriette est ravie.
Moi, c’est Robert. Là, je suis au bar du Bon Accueil. Pour tout vous dire, je connais bien ce café. Quand j’étais gosse, je venais y jouer au flipper. C’était dans l’arrière-salle, juste à côté, aujourd’hui fermée. Il y avait deux flippers et un baby-foot. L’argent des consignes de bouteilles de verre ramassées dans les poubelles servait à payer les jeux. Comment s’appelait mon meilleur copain d’alors déjà ? Bref, c’était une autre époque. Aujourd’hui, il n’y plus grand monde dans ce café et le serveur — le patron ? — me sert avec une lente tristesse. On se dit deux mots, rien de plus. Je me dis que l’établissement fermera sous peu1…
Quelqu’un entre, un habitué. Il lance un « Salut la compagnie ! » à la cantonade. C’est un grand échalas au visage Modigliani, plus jeune que moi. Il s’assoit à côté de moi et me tutoie d’entrée :
— Tu bois un verre avec moi ?
C’est ainsi que j’ai rencontré Kevin. Encouragé par mon regard, il me raconte sa vie, le temps d’un demi puis repart aussi vite qu’il est apparu. Les gens vont au café pour cela : trouver une oreille.
C’est ainsi que j’ai rencontré Kevin. Encouragé par mon regard, il me raconte sa vie, le temps d’un demi puis repart aussi vite qu’il est apparu. Les gens vont au café pour cela : trouver une oreille.
Bon, il faudrait que je parte.
Arrive une famille que j’ai déjà croisée dans la station : les grands-parents, leur fille, deux jeunes enfants. Je me demande où est leur père ? Peut-être les parents ont-ils divorcé ? Peut-être travaille-t-il ? Les vieux parlent patois. Les enfants chahutent. Le plus petit tombe. Il pleure ! La mère ne bouge pas d’un centimètre, le grand-père non plus d’ailleurs mais la grand-mère intervient avec douceur :
— Viens ichi avec Mémé min tchiot bellot2…
Tout rentre dans l’ordre.
Je suis bien.
Notes
- Le site de Stella-Plage.
- Le Bon Accueil est situé ici.
- À propos du ch’ti, voir la page Wikipédia.
- À propos de Modigliani, voir la page Wikipédia.
- La consigne reviendra-t-elle à la mode ? Voir l’article sur France Info.